"Aujourd’hui
nous sommes samedi 10 janvier et le prénom que j’accueille, avec de
nombreux sentiments mêlés mais une détermination revivifiée, est «
Charlie ». Mettre à l’honneur ce prénom qui symbolisera nos valeurs
rassemblées malgré les fissures inévitables : liberté, égalité,
fraternité et « charlieté ». Distinguer ce prénom pour un temps du
dérivé affectueux des Charles de nos entourages. La maison « Charlie »
s’est bâtie sur les fondations branlantes d’un humour impertinent,
agaçant, discutable mais vital. Sa légende va naître dans le bois mort
des crayons taillés pour dessiner les contours mouvants de notre nouveau
siècle.
Cette chroniquette sera donc un hommage anonyme à ce prénom
affiché sur le bracelet de naissance des bébés de 2015 ou peint sur la
façade d’un quartier provincial (l’humour de façade porte souvent
l’acuité et le désespoir des visionnaires maudits : c’est une façon
d’amortir la brutalité, de souligner le ridicule, d’éveiller l’avachi et
d’endormir le dictateur.)
Charlie est pour l’instant le troisième
mot d’un message spontané et relayé : « je suis Charlie ». Il prendra
d’autres variantes, il s’estompera dans l’actualité refroidissante en
tant que slogan. Mais il n’attend plus qu’à prendre les multiples
visages des héros du quotidien que nous avons croisés : Charlie, c’est
un caricaturiste, une policière, un imprimeur……….
Je suis…vivant
avec mes convictions, mes contradictions, mes affections, mes
crispations, mes passions, mes impulsions, mes frustrations, mes
libérations mais vivant sans conditions ! C’est pourquoi je ne
romancerai pas, exception dans mon almanach, la vie de ce prénom.
Charlie va continuer de vivre, orphelin recueilli dans de nombreuses
familles françaises. Puis la République nourricière va retrouver le sens
de son histoire et consoler les enfants endoloris. Les doigts s’étaient
crispés d’horreur, de douleur et de chagrin. Mais les enfants
dessineront à nouveau, sur le tableau du malheur, le visage du bonheur
avec des craies de toutes les couleurs. Jacques Prévert aimait ces
histoires de cancres qui réussissent à ne pas réussir mais dont
l’imagination est le plus puissant des carburants. Les maîtres de jadis
lançaient parfois des projectiles de calcaire sur les chères têtes
blondes, dans leur hâte consciencieuse de faire réussir leurs élèves.
Saisissons à nouveau des craies hâtives pour tracer de nouveaux terrains
d’entente : des marelles pour aller de la terre à la terre…
Même
sur mon canapé confortable, même derrière mon écran protégé, même dans
mon emploi certain, même dans ma santé solide, même dans mon couple
rayonnant, même dans mes amis fidèles, même dans mes blagues faciles :
je suis touché ! Plus touché que je ne pensais. Tous ces moments de
doute et de certitude, de peine et de joie, de souffrance et de
jouissance peuvent disparaître et c’est la première fois que je le
ressens aussi viscéralement. Oui, j’ai beaucoup à perdre par rapport à
ces minables qui ont commis des actes abominables ! Ils n’avaient rien
construit, maçons du néant. Ils ont tout détruit ( je précise pour ces
ignorants privés d’humour et non initiés à la subtilité que je n’ai pas
dit »des truies »). Je vois d’ici la mine hilare et complice des
caricaturistes, à la question posée par un journaliste débutant : »
Selon vous, peut-on rire de tout ? »
Même si j’ai eu du mal à
trouver une réponse tranchée, leurs éclats de rire communicatifs m’ont
convaincu en deux minutes : la seule limite au rire est la mort !
Repensez aux trois petites lettres, abréviation française « m.d.r. »
(mort de rire) que l’on glisse en ponctuation nouvelle de nos
conversations écrites accélérées.
Quel est le contraire de risible en français ?..............................
Les mots sont faits de plomb ou de plume mais ils devraient être
davantage pesés dans certaines circonstances ou ils devraient peser plus
que ce qu’indique la balance. A force de concentrer notre pensée, nous
réduisons l’espace de la compréhension qui est un long chemin, pourtant.
Je ne rêve pas d’une langue unique où nous reviendrions à la nostalgie
d’une tour de Babel mais d’une langue généreuse, simple, proche,
immédiate et universelle : la langue de l’autre. C’est pour cela que la
bande à Charlie avait trouvé un langage direct et agissant : le dessin
de presse.
Laissons donc les dessins produire leurs réactions mais
prenons le relais pour que nos mots aient plus d’action. Gaston est
Charlie quand il se produit sur un marché en artisan blaguier et qu’il
propose un Monsieur et Madame au public de passage. Seul et mal
organisé, je ne suis pas le bouffon du roi, je ne suis qu’une petite
tête de boulevard, je n’ai pas de pouvoir de nuisance, je ne suis pas
dans l’insurrection (sauf contre ma langue). Je place un miroir devant
moi et une personne derrière moi en lui demandant quel est le prénom du
fils de Monsieur et Madame Hanédan-Mondeau. La personne cherche trente
secondes et voyant son effort neuronal, j’abrège en livrant la solution :
»Tarik ! » Je sens le gros point d’interrogation se former au-dessus de
son crâne dilaté. « Tarik Hanédan-Mondeau ! » Pour dissiper l’étrange
brouillard qui envahit son regard, je la regarde dans le miroir et je
prononce distinctement : « T’as ricané dans mon dos ! ».
Voilà, ce n’est pas un prénom ridiculisé et si c’est de la provocation, c’est la provocation du sourire que je recherche.
J’existe avec cet humour qui m’a fait grandir. Oui, je suis un grand
(être devenu plus courageux et moins me taire). Je suis un grand
(aborder les inconnus sans distinctios et avec respect). Je suis un
grand ( jouer avec les mots pour créer). Je suis un grand (défendre ma
liberté d’expression). Maintenant que j’ai grandi dans ce monde si
complexe, mon statut d’adulte m’ordonne, en toute responsabilité, de
protéger les petits et de mépriser ceux qui sont des « petits » Vous
aurez remarqué que je n’ai même pas évoqué les moins que rien.
L’humour est plus fiable qu’une arme. Dans les situations les plus
anodines ou les plus critiques, c’est ce qu’il reste à l’homo-sapiens.
L’humour ne s’enraye pas, lui !
Pour cette fin de chroniquette,
Gaston va s’effacer d’un coup de gomme pour laisser place à Guy. Nous
célébrons en ce samedi hivernal le prénom de Guillaume. Et je me devais
de vous offrir ce « guillaumage », encore appelé hommage de Guy…
Bien sûr que l’on n’en a pas dit assez et je pense ici à toutes les
victimes de la terreur de ces derniers jours. Oui, il faut rire de tout,
jusqu’au bout, et surtout rire de nous-mêmes, fragiles créatures.
Drôles de terriens que la galaxie découvre en se bidonnant, un numéro de
Charlie-Hebdo sous les yeux. « La vie est une blague créée pour le
sourire des étoiles » comme on dirait Gaston Binvéria.
Et attention !
Une vieille mine de crayon, même enterrée, peut encore t’exploser au
nez, vient de me souffler un caricaturiste prévenant…"
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#jesuisCharlie
Guy Reydellet, allias Gaston Poeintre
Montauban - France - 11 Jan'15